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11 octobre 2007

Le bruit des trousseaux

bruitdestrousseaux

Que peut nous livrer une personne qui a été enseignant dans une prison? Il fallait la plume de Philippe Claudel pour faire passer ces impressions, qui ne sont pas un récit, qui ne sont pas un roman, mais un recueil. Un recueil d'anecdotes, de sensations, d'échanges avec les prisonniers, d'impressions sur l'univers carcéral en général. Un univers où même la lumière du jour arrive ternie, un lieu où l'été, synonyme souvent de loisir, de repos voire même d'ailleurs, est ici lourd de chaleur et de tensions, où les heures s'égrennent d'autant plus lentement que les journées sont longues.

On sent l'ambivalence dans laquelle se trouve le narrateur: "Une seule fois, j'ai écrit une lettre susceptible d'être produite en cour d'assises par l'avocat de la défense. Dans cette lettre, je disais que le prévenu suivait mes cours depuis deux ans, qu'il faisait preuve d'un grand sérieux, d'une motivation remarquable et que j'avais le sentiment qu'il avait beaucoup réfléchi depuis sa détention, réfléchi sur son acte, sur sa responsabilité. Je me suis demandé ensuite pourquoi j'avais fait cela. Que savais-je en définitive de sa réflexion? Pourquoi avais-je fait cela pour lui et pas pour d'autres, pour des dizaines d'autres que j'avais connus, et qui, eux aussi, m'avaient touché sans que jamais je ne leur montre. Je m'en suis voulu. Je crois que je m'en veux encore: j'étais sorti de mon rôle, en tout cas, du rôle que je m'étais assigné, et qui interdisait de prendre parti pour ou contre qui que ce fût. Depuis ce jour, non pas tous les jours mais assez souvent tout de même, je pense, sans avoir jamais connu ses traits, au visage de la victime, qui ouvre grand ses yeux et sa bouche à la lecture de ma lettre devant la cour des jurés."

Le manque d'espoir chronique, cette sensation d'étrangeté reviennent souvent sous sa plume:"Le bruit des trousseaux de clefs, des clefs longues et polies par les usages incessants. Les pantalons bleu marine des gardiens, déformés aux poches à cause de ces trousseaux qui me faisaient toujours songer à des sésames de contes. Mais de quels contes?"

Et puis cette idée de microcosme bien particulier: "On pouvait trouver de tout en prison si on y mettait le prix: cannabis, alcool, permis de conduire. Parfois, je sentais des odeurs d'herbe dans les couloirs. La prison n'évacue pas les différences. Elle n'est en aucun cas égalitaire: le riche y demeure riche, le pauvre y est très pauvre. Mais elle met en relation des êtres qui au-dehors ne se seraient jamais regardés, jamais parlés. Raymond P., notaire, et Abdel, petit beur de banlieue, qui se tutoyaient et discutaient en riant."

Un livre dur mais d'une grande beauté, un livre qui nous remue à l'intérieur, dont on ne ressort pas le même.

Chez moi, cet ouvrage a grandement sollicité ma mémoire, qui pourtant n'a fait que frôler cet univers, l'espace d'un battement de cil. Adolescente, la direction de mon lycée menait des actions de prévention contre la drogue (nous étions dans le lycée français de Quito, assez huppé dans ma ville). Une de leurs actions cette année-là, consistait en une visite de la maison d'arrêt de Quito. Nous y avons passé la matinée. Inutile de vous en dire plus, c'est une matinée qui jamais ne s'effacera de ma mémoire; sachez seulement que l'expérience ne fut pas renouvelée. Plus tard, pour mes études, le sujet a été réévoqué, d'un point de vue plus académique. Avec un peu plus de maturité et de recul, je fus à même de digérer un peu la première (et unique) visite.

Bref, j'ai été secouée par Le bruit des trousseaux, très émue. Bellesahi l'a lu aussi.

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Commentaires
M
Belle, c'est toi qui m'as donné envie de le découvrir.
B
J'ai beaucoup aimé et appris avec ce livre. Mon mari a fait passer un oral de français à un candidat en prison. Une expérience particulière mais qu'il ne regrette pas du tou !
M
- Cathulu, bonne lecture dans ce cas. Bises.<br /> - N-talo, pas étonnant, quelque part.<br /> - Gambadou, parfois il fait froid dans le dos.<br /> - Mariangela, bon dimanche à toi aussi.
M
bon dimanche, Maijo!
G
Oui, il reste en mémoire ce livre. C'est un univers que je ne connais pas du tout, Claudel nous l'entrouve.
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