De Niro's game
Comme il est difficile parfois de parler d'un roman qui m'a plu!
Parce que celui-ci dépeint la guerre civile dans ce qu'elle a de plus terrifiant, à savoir la déchéance de l'être humain avant que la mort ne vienne le faucher. Ou le délitement de la société où la combine et la corruption se substituent tôt ou tard à toute autre valeur, car la survie est le seul but envisageable.
C'est dans cette ambiance délétère que nous rencontrons Georges et Bassam, deux jeunes hommes qui ont grandi comme des frères dans Beirut autrefois en paix et qui jouent encore à l'insouciance sous les bombes. Si au début la guerre n'est présente qu'en toile de fond de leurs combines, elle va gagner une place de plus en plus importante et va orienter leur chemin en fonction des inclinations de chacun, ou des choix qui se présentent. Pour Georges, ce sera l'entrée dans la milice et un plongeon corps et âme dans la violence et la guerre. Pour Bassam ce sera le départ et la solitude de l'exil, mais payés au prix du sang et de la torture.
Pendant un deuxième tiers du roman, le lecteur assiste à cette séparation que l'on sent progressive mais définitive. La guerre prend le dessus sur l'amitié et la jeunesse. Les menus larcins et les combines à deux cèdent la place à la violence aveugle, à la corruption, aux traffics, à l'abus de pouvoir, à la torture, voire à l'horreur absolue, car Georges participe au massacre des camps de Sabra et Chatila. Et la force de Rawi Hage est de nous faire plonger dans cet univers avec efficacité et sans larmoyements ni jugements de valeur, de nous montrer les hommes tels qu'ils sont, violents envers leur prochain et empoisonnés par leur propre violence (ou pas): on éprouve presque de la pitié pour Georges lorsqu'il raconte le massacre des réfugiés, lorsqu'il s'abîme dans la drogue pour supporter la vie qu'il s'est choisie, alors que dans le même temps, ses actes nous pétrifient d'horreur.
Finalement, Bassam réussit à quitter le Liban, en homme meurtri et marqué par la guerre. L'auteur nous dépeint d'une certaine manière une caricature de l'étranger qui débarque avec ses habitudes et ses réflexes dans une société dont l'idée qu'il se faisait ne colle pas à la réalité: tout étranger débarquant en France pour la première fois (et ne la connaissant que par ce qu'il en a étudié) a vécu ça. Dans le cas de Bassam, vu les circonstances, le décalage est absolu et je l'ai trouvé personnellement très touchant.
La fin, je l'entrevoyais bien avant qu'on y vienne, de même que l'explication qui en est donnée. Mais ça ne m'a pas dérangée, car je n'en voyais pas d'autre qui me satisfasse davantage et que celle-ci est très bien amenée. Au jeu de la roulette, quelquefois on gagne, mais il arrive que l'on perde aussi.
Un beau roman, qui nous fait beaucoup nous interroger sur l'homme et ses choix, sur la guerre et ce qu'elle apporte de brutalité et de destruction, sur l'espoir qui reste à ceux qui échappent à la violence. Une très belle lecture.
Merci à Violaine de Chez les filles et aux éditions Denoël pour cette découverte.
Les avis de Fashion, Cathulu, Caro[line], Karine, Tamara, Erzébeth, enthousiastes. Et ceux plus contrastés de Clarabel et Alice.
PS: Ce livre a reçu le Prix des libraires du Québec.