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From China with love
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13 septembre 2011

L'homme mourut en eux avant le corps...

un beau jour de printempsLe premier jour du printemps , le village de Rivière Fangeuse se prépare à l'exécution de Gu Shan, 28 ans, accusée d'être une dangereuse contre-révolutionnaire. La séance de dénonciation publique qui y précède est, dans la Chine de l'époque, un événement obligatoire: tous les habitants doivent se rendre dans l'un des six stades de la ville, que ce soit avec leur unité de travail ou avec son école. Les assistants sont déçus, car la dangereuse criminelle ressemble plus à une vieille poupée de chiffon qu'à la furie que tous s'attendent à voir. Crasseuse, folle car ayant été enfermée plus de dix ans, blessée car on lui a coupé les cordes vocales pour éviter qu'elle crie des slogans contre le régime, son apparition est brève mais suffit néanmoins à provoquer une petite commotion chez certains habitants, qui va changer le cours de leurs vies.

Pour Madame Gu, la mère de Shan, le réveil est bien amer, et prépare un éveil de sa conscience politique, qui restera complètement incompris de son mari. Le professeur Gu, lui, s'enferme dans sa coquille, de plus en plus hermétiquement. Alors que Madame Hua placarde les affiches de l'exécution, elle se souvient de sa vie de vagabonde, avec son mari, ramassant et élevant des petites filles abandonnées, que le régime lui a reprises il y a bien des années. Bashi, orphelin d'un héros de guerre et jeune homme un peu parasite, découvre que les atrocités commises sur Shan ne se sont pas arrêtées à sa première mutilation. Nini, douze ans, découvre qu'elle doit sa difformité à la même Gu Shan, du temps où elle était Garde Rouge, avant qu'elle commence à mettre en doute le bien-fondé de la Révolution: alors que sa mère était enceinte, elle avait été fortement battue par la jeune fille. Tong, six ans, vient d'arriver de la campagne, où il était élevé par ses grands-parents, pour intégrer l'école primaire. Et puis il y a Kai, la présentatrice radio officielle du gouvernement local, mariée à un jeune homme dont les parents sont très influents et tenaillée par le remords et le doute...

Alternant les protagonistes et les récits, qui sont tous liés par le personnage de Shan, Yiyun Li nous offre un portrait de la société chinoise à la veille de la première tentative d'ouverture du pays. Nous sommes en 1979. La Chine se relève très péniblement de la Révolution Culturelle et, à Pékin, on érige un mur où les citoyens peuvent écrire ce qui les mécontente. La corruption est galopante et les vents politiques changent du jour au lendemain, entraînant inmanquablement la chute des uns et la victoire des autres.

Ce livre est fascinant. Gore, écoeurant par moments, triste et même désespérant, tellement les personnages ne cessent de tourner en rond voire de s'enfoncer, mais fascinant tout de même. Les descriptions de Yiyun Li sont de toute beauté, les sentiments des personnages, toujours authentiques, toujours profonds et sans mélo, l'espoir chez les uns, la mesquinerie chez les autres. Ce sont toujours les méchants et les opportunistes qui gagnent, mais pendant ce temps, la vie s'écoule, avec son lot de beauté, de tendresse, d'amour, de larmes.

C'est d'autant plus triste que, comme je le mentionnais plus haut, les premières tentatives sont faites pour une ouverture politique, qui se soldera finalement par une répression encore plus forte de ceux qui ont été assez naïfs (ou qui ont eu un espoir si démesuré) pour oser s'exprimer en public pour la première fois.

Un magnifique roman qui se dévore et que je recommande vivement, à condition tout de même d'avoir le moral.

Yiyun Li, Un beau jour de printemps, Belfond, 2010, 442 p.

Le titre de ce billet est cité par l'auteure en introduction à son roman. Le poème est cité plus en détail ici.

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Commentaires
M
Oh, oui, sage décision. Il est vraiment intéressant par contre.
A
Il m'intéresse comme reflet d'un pays et d'une époque, mais j'attendrai d'avoir un moral d'acier pour le lire.
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